Comment appliquer la méthode lean à une ferme?
Avec le livre The Lean Farm de Ben Hartman
The Lean Farm ou comment minimiser vos pertes et déchets, améliorer votre efficacité et maximiser votre valeur et profits avec moins de travail. Cette démarche (créée initialement pour l’industrie) est appliquée ici à une micro-ferme en maraîchage avec vente en circuit-court : The Clay Bottom Farm. La méthode est ensuite généralisée pour toute ferme. Elle correspond à un esprit rationnel et à une méthodologie spécifique.
Ce résumé en français du livre non traduit pour l’instant, vous permettra de mieux comprendre la logique et l’état d’esprit à acquérir pour appliquer cette méthode. L’achat de The Lean Farm de Ben Hartman vous donnera bien plus d’informations et d’exemples que présentés ici. En plus d’un aperçu avec une décision d’achat, je vous livre un aide-mémoire pour ceux qui l’ont déjà.
Avec les différents résumés de ce blog, je veux aider ceux qui, comme moi, veulent s’autoformer (voir l’article sur l’autoformation en agriculture) avant de créer et d’améliorer continuellement leur micro-ferme. La liste complète des livres qui m’ont marqués se trouvent dans l’article « la liste ultime de livres pour réussir son projet agricole« . J’espère que ces résumés vous donneront envie de lire ces livres et de sélectionner ceux qui vous serviront le plus. Et une fois les avoir lu vous pourrez utiliser ces résumés comme aide-mémoires! Bonnes lectures!
Introduction par Ben Hartman
Quelques années après s’être installé avec ma femme, un de mes clients, conseiller en méthodologie lean m’a fait découvrir cette approche. J’ai d’abord été sceptique au début puis en constant l’état de ma ferme après ces quelques années d’installation, j’ai commencé à appliquer cette approche. L’installation est une période d’expérimentation et de travail intense qui limite la vue d’ensemble de votre système et repousse perpétuellement les rangements ou changements d’organisation.
Pour expliquer simplement ce qu’est une approche lean, le fondateur de la production de Toyota l’explique comme suit : regarder le temps de parcours entre le moment où le client donne un ordre au moment où l’on est payé. L’approche lean a pour but de réduire ce temps par la suppression des pertes et déchets n’apportant pas de valeur.
Les principes du lean adaptés à une ferme sont :
- Spécifier précisément la valeur (vous devez être guidé par le produit ou service que recherche précisément le client),
- Trouver la chaîne de valeur de production (de la commande à la vente en passant par la production),
- Créer un flux sans interruption ni action qui n’apporte pas de valeur,
- Vendre suivant la demande,
- Rechercher la perfection (par l’amélioration continue).
Il faut voir le lean comme un système et non comme une intuition pour profiter pleinement de son potentiel.
L’utilisation de ces principes ont permis, ma femme, moi et une personne à mi-temps, de vivre confortablement de notre activité sur 4000m² de culture (dont environ 836m² de serres).
Partie 1 : La pensée lean sur la ferme
Chaque outil à sa place
L’outil principal de la méthode lean vient du Japon et est le 5S : seiri, seiton, seiso, seiketsu, shitsuke. Ce qui peut être traduit et expliqué par :
- Trier : élimination tout ce qui n’est pas absolument nécessaire à votre système de production et simplification de vos techniques
- Ordonner : chaque outil a une place (bien choisie) et doit être remis à celle-ci après chaque utilisation,
- Nettoyer : le faire régulièrement permet de ne jamais atteindre le chaos,
- Standardiser (dans le sens industrialiser) : établir une routine des actions précédentes pour qu’elles soient faites par petites étapes et régulièrement,
- Maintenir : l’utilisation de photos peut aider à conserver une pièce ou des rangements dans l’état où ils doivent être.
Cultiver pour vos clients : définissez précisément la valeur
Vous devez connaître exactement les produits et services que vos clients veulent pour éviter tout gâchis et perte. La définition du besoin des clients est primordiale. En effet beaucoup de maraîchers qui se lancent le font par passion et cultivent alors des variétés qui les intéresse eux ou utilisent des méthodes de production qui les fascinent. Faire une étude de la demande suivant vos circuits de distribution et votre contexte est indispensable. Cela peut être :
- Un ensemble de légumes pour un plat précis,
- Un lien social avec le producteur,
- Une date de ramassage de panier flexible,
- Des quantités appropriées,
- L’esthétique des produits,
- Une gamme large.
Apprendre à voir la valeur
Pour cela imaginez par exemple le flux relatif à une carotte. Et réfléchissez aux différentes étapes réalisées : durée du processus, équipement utilisé et ce qu’il vous coûte, la commande des graines, le temps de livraison, préparation du sol, le temps de celui-ci, les outils utilisés, le nombre de personnes nécessaires, la plantation, le désherbage, l’irrigation, la récolte, le lavage, le stockage, l’emballage, la livraison et le payement.
Toutes ces étapes forment une ligne. Est-elle, dans votre cas, fluide ou irrégulière, avec des retours en arrière… ?
Plus ce temps est réduit plus vous grande est la valeur. On appelle ça la création de valeur.
Pour visualiser plus facilement cette ligne, représenter ces étapes sous forme d’une chaîne de valeur. Cet exercice s’appelle la cartographie de la chaîne de valeur (value stream mapping).
Les dix catégories de déchets
Dans la méthode lean, les déchets représentent toutes les activités ce qui n’ajoutent pas de valeur. Trois types d’activités existent sur votre ferme :
- Celles qui ajoutent de la valeur (ex. : la plantation),
- Celles qui n’ajoutent pas de valeur mais sont nécessaires (ex. : la préparation du sol),
- Celles qui sont purement des déchets à éliminer (ex. : certains désherbages).
L’objectif est de favoriser le premier type, de minimiser le second et de supprimer le troisième.
Les dix catégories de déchets sont :
- La surproduction,
- L’attente,
- Les déplacements des produits,
- Le sur-traitement (ajouter de la valeur ajoutée là où elle n’est pas nécessaire ni rémunérée),
- L’accumulation (de matériel ou de biens non nécessaire),
- Les déplacements des personnes travaillant sur la ferme,
- Les produits invendables,
- La surcharge (d’utilisation d’équipements et de travail)
- La production et vente irrégulières
- Les talents non utilisés (de la main d’œuvre).
Flux 1 : Les outils pour éradiquer les déchets de production d’une ferme
Chaque ferme est unique et les types de déchets varient grandement d’une ferme à l’autre. Il n’y a pas de méthode magique. Mais les principes suivants peuvent être utilisés par tous :
- Minimiser les déplacements,
- Alléger la charge portée,
- N’en faites pas trop,
- Demandez vous pourquoi cinq fois (pour connaître la racine d’un problème),
- Faire du préventif et du contrôle qualité,
- Raccourcir les cycles de production,
- Choisir une technologie qui conserve une touche humaine,
- Commander les fournitures au bon timing,
- Prendre en compte l’avis des autres (ex. : retour client).
Flux 2 : Les outils pour éradique les déchets de management
De manière conventionnelle, la tendance est à l’accumulation : agrandissement, d’avantage de ventes, de matériel, d’employés. Cela va à l’encontre de produits de qualité, du respect de l’environnement et des animaux et des gens. Pour prospérer, une ferme doit être de la bonne taille et conduite de la bonne manière. Les outils suivants vous permettront de prendre les bonnes directions :
- Réguler sa production (arrêter d’accumuler),
- Réduire les charges pour augmenter sa marge de profits,
- Remplacer les actions à faibles profits par des actions à forts profits,
- Optimiser les charges fixes (ex. : optimiser l’espace de production, utiliser au maximum vos outils au lieu d’en acheter d’autres…),
- Lisser votre charge de travail dans le temps,
- Utiliser des indicateurs de performance,
- Trouver l’équilibre entre la créativité et la discipline (15% de votre temps doit être dédié à l’expérimentation).
La vente : Créer de la demande, ne forcer pas
La tendance pour un jeune installé est de cultiver ce qui lui plaît et ensuite d’essayer de le vendre. Mais il faut plutôt cultiver en fonction de la demande. Vous pouvez bien sûr faire des cultures originales mais elles devront être accompagnées d’explications et/ou de dégustations.
Une production basée sur des ventes d’après une demande est vendue à des prix correspondant à vos coûts de production plus votre marge. Tandis qu’une surproduction ou la production de produits non demandés amènera inévitablement une réduction des prix de vente. Et ceci indépendamment de vos coûts de production.
L’amélioration continue
Na voyez pas la méthode lean sous forme d’une ligne avec un début et une fin mais sous forme de cercle où chaque jour des actions vont créer de la valeur et d’autres vont être considérées comme des déchets. Cinq astuces sont à utiliser :
- Développer une routine pratiquant l’amélioration continue,
- Se concentrer sur les améliorations les plus importantes,
- Mettre à jours vos références (en termes de rangements, propreté, fonctionnement…),
- Comparer votre ferme aux autres,
- Ne pas attendre que quelque chose aille mal avant de pratiquer l’amélioration continue.
Le respect des gens : le lean et la main d’œuvre
La démarche lean ne conduit pas à une procédure à réaliser par des salariés. Leur implication dans cette démarche est importante et fait partie du process d’amélioration continue.
Trois techniques de management sont applicables par :
- Training within industry (TWI) : formation pour que la main d’œuvre soit engagée dans la culture de l’amélioration continue, la collaboration et l’intelligence collective.
- La rédaction de procédures,
- Un système de management visuel (procédures illustrées notamment).
La responsabilisation de la main d’œuvre est profitable pour tous.
Le lean appliqué à Clay Bottom Farm : Dix cas spécifiques
Il nous montre ici tout le cheminement effectué lors de l’utilisation de la méthode lean sur dix situations qu’il a rencontré sur sa ferme :
- Cas 1 : Amélioration de la préparation de ses planches avec une remise en cause de tout son itinéraire technique (travail du sol, fertilisation…).
- Cas 2 : Réduction de la durée du cycle dans la serre à plants et optimisation de l’espace disponible
- Cas 3 : Optimisation de la culture des tomates et poivrons et réduction des déplacements
- Cas 4 : Amélioration de sa gestion globale en conservant ses actions à petite échelle pour rester rentable et produire de la qualité.
- Cas 5 : Amélioration de sa gestion des adventices
- Cas 6 : Amélioration du rendement par l’optimisation des espaces entre les cultures
- Cas 7 : Changement de séquence dans la production de micro-pousses sous serre
- Cas 8 : Lissage de la production sur toute l’année (en élargissant la saison et réduisant la surproduction tout en planifiant suivant la demande)
- Cas 9 : Suivi de l’évolution des pratiques en mesurant différents critères (prix par caisse de transport, rendement par m², durée des plants entre la récolte et le stockage)
- Cas 10 : Succession des cultures et remplacement des planches au bon timing
Partie 2 : La méthode lean dans le contexte de l’agriculture
Le lean management lors d’une installation
Le démarrage du lean : un nouvel installé aura plus de facilité à appliquer cette démarche dès ses débuts. A contrario un agriculteur déjà en place aura plus de mal à changer des mauvaises habitudes.
Quatre principes peuvent être appliqués pour un bon démarrage :
- Développer ses capacités personnelles (D’après Malcolm Gladwell, il faudrait 10 000 heures de pratique pour devenir un expert),
- Tester à petite échelle,
- Ajouter par petites étapes la capacité de l’infrastructure
- Eviter les mauvaises dettes.
Les limites de la méthode lean en agriculture
Les dérives de cette méthode appliquée à l’agriculture sont réelles. Inventé dans l’industrie, le lean n’a pas de notion de durabilité dans la production.
Ces dérives sont :
- La production de masse. En effet la démarche ignore totalement la notion d’environnement qui est le contexte de l’agriculture.
- Excès dans la recherche d’élimination des déchets avec une tendance à la recherche exclusive du profit (pollution des eaux, de l’air, maltraitance des animaux…)
Le lean pour plus que le profit
Cette démarche ne doit pas seulement être portée sur la recherche de profit mais doit garder la volonté de bien cultiver. Avec de la motivation, vous serez en capacité de créer un lieu avec de bonnes pratiques culturales contribuant à la bonne santé de votre foyer et de l’écosystème entourant votre ferme tout en restant viable.
La première partie de ce livre était dédiée à l’application du lean au niveau de la ferme elle-même pour un impact sur celle-ci. Ici je vais vous montrer cinq cas où son application est profitable à une autre échelle.
- L’élimination du gâchis alimentaire : une étude a montré qu’aux Etats-Unis 20% de la production en légumes et fruits ne sort pas des champs. Une autre a démontré que les pertes liées au stockage, transport, à la vente et au consommateur sont de l’ordre de 40% de la production. Cette surproduction a également des répercussions sur la consommation d’énergie et d’eau. La démarche lean peut considérablement limiter tout ce gâchis.
- L’augmentation d’une production appropriée localement : le lean permet de baser sa production sur une demande locale spécifique et donc de pouvoir vendre sur son territoire en limitant les distances parcourues.
- Fournir de la nourriture localement à ceux qui ne peuvent se le permettre : les performances apportées par lean permettent de contribuer aux différents programmes locaux ou non pour l’accès à la nourriture des plus démunis.
- La réduction des déchets de la ferme : le lean permet de réduire considérablement la quantité de détritus engendré par la ferme.
- Créé un lieu d’accueil du public et notamment d’enfants dans un lieu sécurisé et propre.
Il ne reste plus qu’à créer votre propre ferme. N’oubliez pas que le lean est un processus et non une finalité, vous aurez toujours des améliorations à effectuer. L’application de ce processus vous mettre à disposition une ferme où il est agréable de travailler et surtout de vivre.
Avis
The Lean Farm de Ben Hartman est la preuve inconditionnelle que l’approche lean appliquée à une ferme est hautement bénéfique. Cet ouvrage propose de comprendre simplement la démarche utilisée à travers des explications précises et des exemples concrets et approfondis.
Je le recommande à tous. La vision d’ensemble que permet cette méthode porte des avantages à tous les niveaux de production.
L’ensemble de cet ouvrage est illustré avec de très belles photos de la ferme de l’auteur : The Bottom Clay farm. On peut noter également une quantité importante de références bibliographiques à la fin du livre citant globalement ceux qu’il recommande et par chapitre tous les ouvrages qui lui ont permis de les rédiger. Une mine d’information pour tous ceux qui souhaitent approfondir certains points.
Vous pouvez acheter ce livre avec le lien affilié suivant : The Lean Farm – Ben Hartman – Chelsea Green Publishing Co.
Voici quelques uns des ouvrages principaux cités dans la bibliographie (versions en français lorsqu’elles existent avec un lien affilié pour les acheter sur Amazon) :
- Sur la méthode lean :
- Sur l’agriculture :
- The New Organic Grower, d’Eliot Coleman (1995-2018) avec son résumé ici,
- Le jardinier-maraîcher, de Jean-Martin Fortier (2014) avec son résumé ici,
Bien que vous pouvez acheter ces livres avec les liens précédents, essayez de privilégier autant que possible les librairies locales et éthiques !
2 Comments
julien Duplouy
Salut à toi,
j’adore ton blog je le trouve très intéressant ! Ou en es tu dans ta démarche d’installation ? As tu déjà une préférence de lieu d’implantation, as tu trouvé du foncier ? et vers quel genre de système vas tu t’orienter ?
Bien à toi
Julien
Dimitri
Salut,
Merci beaucoup! ça fait super plaisir.
Je suis en Bretagne toujours à la recherche de foncier en Bretagne, j’ai accès à une serre et un petite bout de terrain pour cette saison mais rien de plus. J’ai quand même démarré mon parcours 3P avec la chambre d’agriculture pour avancer côté administratif (et avoir accès à quelques formations) mais je ne suis pas encore sûr d’aller jusqu’au bout. En tout cas je vise un système en maraîchage sur sol vivant en agroforesterie. Avec des diversifications qui arriveront au fur et à mesure (petit poulailler, petits fruits…). Je continue de travailler chez les autres pour le moment, ça permet d’en apprendre toujours plus!
Et toi es-tu en cours d’installation?