Comprendre le cycle du carbone pour adapter ses pratiques agricoles
Le cycle du carbone, qu’est-ce que c’est ? Pourquoi on en parle ? En quoi les agriculteurs sont concernés ? Et quelles sont les pratiques agricoles à mettre en place pour faire au mieux ? Ce sont les questions qui vont être traitées dans cet article.
Porteur de projet et déjà en activité, la compréhension du cycle du carbone et des problématiques liées est très importante. Dans une démarche agroécologique ou d’agriculture de conservation, ces questions sont au cœur d’une réflexion qui engendre des pratiques agricoles novatrices et durables.
Partie 1 : Intérêt du carbone, pourquoi on en parle
A défaut de ne pas diminuer la quantité de carbone consommée par l’activité humaine, le stockage de celui-ci dans le sol est une des actions pour atténuer le changement climatique.
L’INRA a sorti une étude mettant en évidence que stocker 4 pour 1000 de carbone dans les sols par an (0.4%) permettrait de neutraliser l’augmentation annuelle du carbone atmosphérique liée à l’activité humaine (pour en savoir plus, voir l‘initiative internationale lancée en 2015 : https://www.4p1000.org/).
La deuxième raison, presque exclusivement liée au niveau agricole cette fois-ci, est que le taux de carbone dans le sol est directement lié au taux de matières organiques. On peut même parler de matières carbonées en désignant les matières organiques. Stocker du carbone dans les sols permet donc d’augmenter la teneur en matière organique de ces derniers, ce qui a une multitude d’autres bénéfices. Or on observe une diminution de ce taux chaque année dans les sols agricoles.
Plusieurs bénéfices sont liés à l’augmentation du taux de matière organique dans le sol :
- Elles sont l’élément majeur de la fertilité des sols. Notamment de par leur minéralisation qui libère les éléments nutritifs qu’elles contiennent. Ces éléments deviennent ensuite accessibles aux plantes et micro-organismes.
- Elles protègent de l’érosion en augmentant à la fois la rétention d’eau par le sol et en améliorant sa structure et sa résistance.
- Elles filtrent les polluants comme les pesticides ou ce qu’on appelle les éléments traces métalliques (ETM ou métaux lourds). C’est ce qui donne au sol ce rôle de tampon envers les autres éléments de l’environnement : l’eau, l’atmosphère et le vivant.
- Elles nourrissent les organismes vivants du sol ce qui améliore la biodiversité hébergée.
Augmenter le stockage du carbone dans le sol est donc important et a des impacts sur l’ensemble des problématiques agricoles. L’amélioration de la qualité du sol par la compréhension du cycle du carbone devient alors une priorité pour tout agriculteur voulant conserver ou accroître sa production sans faire appel à toujours plus plus d’intrants de synthèse ou de travail du sol.
Une fois avoir compris le fonctionnement de ce cycle et les différents paramètres sur lesquels on peut jouer, alors on pourra revoir nos différents itinéraires de cultures et adapter nos pratiques en fonction de nos besoins et contraintes propres à notre situation.
Partie 2 : Le cycle du carbone, simplement
Le cycle du carbone est un système très complexe. Nous allons voir ici des explications simplifiées qui suffiront pour prendre des mesures dans le cadre d’une activité agricole.
Il peut se représenter sous deux formes : sous la forme géologique qui représente le carbone dans les réservoirs les plus grands et sous la forme biologique qui représente les flux de carbone les plus importants.
Commençons d’abord par la forme géologique c’est-à-dire le cycle biochimique du carbone. Celui-ci reprend les réservoirs de carbone les plus importants : lithosphère, hydrosphère et atmosphère.
Même si les réservoirs associés au cycle du carbone sont plus élevés dans le processus géologique, vue précédemment, c’est dans le processus biologique que les flux sont les plus importants. Le schéma suivant les représente :
En mettant l’arbre au centre de notre système, le cycle du carbone peut être représenté comme suit :
Ces flux se retrouvent naturellement à l’équilibre. Bien que certaines variations de quantités et de flux peuvent apparaître et impliquer des phénomènes climatiques majeures.
En revanche l’activité humaine a un impact direct sur à la fois les cycles biologiques et géologiques du carbone. En grande partie par la combustion d’énergies fossiles. Et ce depuis l’ère industrielle qui a engrangé ce déséquilibre dans le cycle du carbone, stable pendant 10 000ans (augmentation de 30% de la concentration de CO2 par les émissions anthropiques).
En plus de l’augmentation du carbone dans l’air, les pratiques agricoles, la déforestation et l’urbanisation diminuent le stockage de celui-ci. Le sol est la deuxième source de stockage du carbone après les océans. Les restes des émissions s’accumulent dans l’atmosphère. C’est pourquoi il est crucial de s’intéresser à ce sujet pour adapter ses méthodes agricoles et sa manière de penser ses itinéraires culturaux.
Prendre soin de la terre devrait être la considération première dans les recherches du secteur agricole.
Nous verrons dans la partie suivante les actions pouvant être faites à son échelle. Même si des dispositions politiques à l’échelle nationale et internationale devraient être prises, elles en sont encore loin. Une démarche sociale et globale semble être la solution la plus rapide et la plus riche d’instructions.
Partie 3 : Quelles pratiques agricoles améliorent la captation et séquestration du carbone dans votre sol
De nombreuses pratiques agricoles permettent d’augmenter la séquestration du carbone dans le sol. Deux grandes catégories d’actions seront présentées ici : celles qui améliorent le taux de matière organique dans le sol et celles qui améliorent la photosynthèse.
1. Améliorer le stockage du carbone dans le sol par l’augmentation du taux de matière organique
Avant de penser à amender votre sol ou à augmenter les apports, il faut déjà tout mettre en œuvre pour stopper la perte de MO due à vos pratiques.
Le premier levier est de tendre vers le non travail du sol. Cela permet une amélioration des propriétés physiques du sol par deux phénomènes observés :
- Le premier est que les débris organiques et les matières organiques stables sont laissées en surface et protègent alors le sol contre les agressions climatiques ou physiques (pluies, vent, piétinements…).
- Le deuxième est que l’activité biologique n’est pas perturbée. Ce qui améliore la qualité structurale du sol et contribue au bon développement des plantes et à leur résistance au stress.
Un second levier est la gestion des résidus de cultures. Trois points sont à prendre en compte :
- Cessez de brûler les résidus de culture,
- Réduire la minéralisation rapide des matières organiques par la réduction ou l’arrêt de l’enfouissement des MO avec le travail du sol (dans certains cas l’incorporation peut être partielle et se faire dans les premiers centimètres du sol avec des techniques culturales simplifiées [TCS] ou peut se faire dans lors de la reconstruction d’un sol très dégradé),
- Regarder les flux d’entrées et de sorties par un bilan humique.
En plus d’éviter la perte de matière organique dans votre sol, les deux pratiques suivantes vous aideront à augmenter ce taux :
- Les rotations : plusieurs idées sont incluses dans ce terme. D’abord les rotations avec une période de jachère. Celle-ci doit être gérée comme une prairie en réimplantant des espèces si besoin (la prairie permanente idéale contient 75% de graminées dont 50% de bonnes, 10 à 20% de légumineuses pour maximum 15% d’autres dicotylées). L’implantation d’engrais vert multi-espèces doit se faire pendant les intercultures qui le permettent, la terre ne doit jamais rester longtemps à nu. Les techniques d’engrais vert et de couvert végétal incluent la notion de semis direct et de couchage du couvert (utilisation d’un rolofaca). Ces pratiques sont très spécifiques à votre cas puisqu’elles dépendent de votre terre, climat, cultures, matériel disponible et besoin réel.
- Les amendements : ils peuvent se faire soit directement avec le pâturage pendant les périodes de mise en jachère ou de fin de culture (même sur petite surface avec des poulaillers mobiles). Soit indirectement par épandage d’amendements carbonés (paille, broyat, BRF…) ou plus équilibrés en C/N (compost, fumier…). Ces derniers stimulent et donc améliore l’activité biologique du sol.
Toutes ces pratiques ont un impact sur les itinéraires de cultures et permettent de se passer progressivement des produits phytosanitaires. Ce qui réduit le risque de transfert de ces produits dans l’environnement.
Globalement la suppression de leur utilisation permet de gérer la chaîne de la vie du sol à son complet et donc permet à terme une régulation naturelle. L’augmentation de la faune dans le sol a un rôle dans la régulation des pathogènes et donc dans l’état sanitaire du sol. Les fongicides et insecticides deviennent alors inutiles. Les couverts végétaux et la technique du semis direct sous couvert végétal permanent (SCV) permettent de se passer progressivement d’herbicide.
2. Améliorer la captation du carbone de l’air par l’augmentation de la photosynthèse disponible
Nous venons de voir l‘amélioration du stockage du carbone dans le sol par l’augmentation du taux de matière organique, dans cette partie nous nous intéresseront à la photosynthèse.
La photosynthèse permet la réduction du dioxyde de carbone de l’atmosphère par l’absorption de l’eau par les racines à l’aide de l’énergie solaire captée par les feuilles. Plus la surface des feuilles est importante plus le potentiel de synthèse du dioxyde de carbone de l’atmosphère est important.
Pour optimiser la surface de captation plusieurs méthodes sont possibles. Il faut dans l’idéal les combiner.
La première est l’utilisation des engrais verts en interculture. Comme vu dans la partie précédente ils permettent, entre autres, au sol de ne pas être à nu entre deux cultures. Avec les techniques de semis direct sous couvert et de couchage, le sol est en permanence recouvert de végétaux vivant pouvant profiter de la photosynthèse.
Les engrais verts auront d’autres avantages comme d’améliorer la fertilité des sols, de préserver la qualité de l’eau, maîtriser les adventices, lutter contre certains ravageurs et maladies et de réguler la température du sol.
La seconde regroupe l’utilisation de couvert végétal vivant en même temps que notre culture et l’association de cultures. Les techniques d’associations peuvent être complexes et nécessitent de faire des essais sur une petite surface test avant de les généraliser.
La troisième méthode pour optimiser l’effet de la photosynthèse est d’augmenter verticalement la surface de captation. Il s’agit ici d’améliorer la densité et la diversité des haies voir d’en replanter pour faire des parcelles plus restreintes. L’agroforesterie permet d’augmenter la densité de culture et de profiter des autres avantages qu’elle procure (voir l’article sur l’agroforesterie).
Toutes ces pratiques sont présentes dans différentes démarches comme l’agroécologie (voir l’article ici) et plus largement l’agriculture de conservation des sols (ACS : site très complet dessus : http://agriculture-de-conservation.com/).
Beaucoup d’actions peuvent être faites et appliquées rapidement. Ces techniques peuvent être complexes et nécessiter des réajustements permanents. Dans la partie suivante on verra comment vous pourrez l’appliquer dans votre situation.
Partie 4 : Plan d’action pour adapter ses pratiques agricoles pour séquestrer du carbone dans le sol
Maintenant que vous savez les bases du cycle du carbone et une liste non exhaustive des pratiques améliorant la capacité de votre sol à séquestrer du carbone et optimiser la photosynthèse il ne vous reste plus qu’à passer à l’action.
Pour cela voici un plan en trois étapes.
Etape 1 : Identifier les pratiques agricoles que vous pouvez mettre en place sur votre parcelle.
Pour cela vous devez connaître vos conditions pédoclimatiques spécifiques à votre situation. Vous pouvez faire une analyse de sol, observer et analyser les plantes bio-indicatrices, observer votre agrosystème et mettre à plat vos pratiques agricoles (itinéraires techniques) actuelles.
Avec ces données vous pourrez identifier les leviers des parties précédents qui sont pertinents dans votre cas. Et lister ceux qui peuvent être mis en place facilement à moindre coût, ceux qui nécessitent des actions dans la durée et celles qui ne sont pas une priorité mais qu’il faut garder en tête pour le moyen terme.
Etape 2 : Tester des nouvelles pratiques sur une petite partie de votre terrain
Ce sont de nouvelles pratiques agricoles et de nouvelles manières de pensée qui ne sont pas toujours simples à mettre en œuvre. Il vous faut remettre à plat vos itinéraires de cultures et placer non plus la plante au cœur de votre système mais le sol. Et c’est ce dernier qui nourrira votre plante et lui donnera les défenses nécessaires à sa bonne santé et bonne croissance.
Dans le cas d’une activité commerciale, la gestion de risque oblige à changer ses pratiques avec précaution et progressivité. Commencez sur une petite surface dans un premier temps et expérimentez. Discutez-en avec d’autres agriculteurs qui ont la même démarche ou dans des groupes spécialisés pour bien analyser vos essais et tirer les bonnes conclusions. Certaines pratiques sont d’une grande technicité donc entourez-vous pour avoir les retours d’expériences des autres, gagner du temps et faire progresser les connaissances dans ces directions.
Partie 3 : Adoption de nouvelles pratiques agricoles
Les essais sur petite surface peuvent durer quelques années. Certaines pratiques sont plus faciles à mettre en place et peuvent donc être généralisées dès que vos essais sont concluants. Continuez à prendre des notes sur les différentes améliorations. Favoriser le carbone dans votre sol va nécessairement augmenter le taux de matière organique dans celui-ci et donc changer certaines caractéristiques de votre sol qui influeront sur vos productions. Ce système est donc en perpétuel évolution. Il faudra toujours observer les comportements de chaque élément de votre agrosystème.
Conclure sur le cycle du carbone
Le cycle du carbone est une notion très importante de manière générale mais encore plus quand on est agriculteur. Prendre soin du sol pour que celui-ci prenne soin de nos productions (végétales et/ou animales) est une manière de penser qui change pour beaucoup. Cela nécessite un remaniement de nos itinéraires techniques et de nouveaux éléments à observer.
Documentez-vous, rejoignez de groupes d’agriculteurs localement ayant la même démarche et faites des essais à petite échelle chez vous. Vous pourrez ensuite généraliser vos pratiques et reconstruire vos sols avec tous les avantages que cela implique.
J’espère que la lecture vous a plus, n’hésitez pas à réagir dans les commentaires. La partie suivante vous donne des ressources pour vous documenter davantage sur le sujet. Bonnes recherches !
Pour aller plus loin
Sites internet de deux groupes travaillant sur le sujet :
- http://agricultureduvivant.org/
- https://www.verdeterreprod.fr/ avec leur chaîne YouTube associée qui regroupe des centaines d’heures de contenu qualitatif : Ver de Terre production https://www.youtube.com/channel/UCUaPiJJ2wH9CpuPN4zEB3nA
Je vous remets le lien vers le site sur l’agriculture de conservation (ACS) : http://agriculture-de-conservation.com/
Pour en savoir plus sur les couverts végétaux et la gestion des intercultures : http://www.itab.asso.fr/activites/gestion-interculture.php
La rubrique du site du CIMA qui regroupe beaucoup de données pédagogiques sur les différents cycles biochimiques : http://www.cima.ualg.pt/piloto/UVED_Geochimie/UVED/site/html/introduction/introduction.html
Source des schémas :
Sarmiento And Gruber : “Sinks for anthropogenic carbon”. Physics Today, 2002, Vol. 55, n°NO 8 – Adaptation de Marc-André Giasson – Thèse de doctorat
Pour en savoir plus sur la vie du sol, je vous recommande vivement les livres suivants :
Bien que vous pouvez acheter ces livres avec les liens précédents, essayez de privilégier autant que possible les librairies locales et éthiques !